Les dernières évolutions de jurisprudence en matière d’inaptitude
Le premier semestre 2023 était riche en avancées jurisprudentielles en matière d’inaptitude.
Le premier semestre 2024 vient le compléter.
On fait un point :
Contestation de licenciement pour inaptitude : prescription et recevabilité de l’invocation d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité
Le point de départ du délai de prescription de l’action en contestation du licenciement pour inaptitude d’un salarié est la date de notification de ce licenciement.
La Cour de cassation juge par ailleurs qu’est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée (Soc., 3 mai 2018, pourvoi n° 16-26.850, Bull. 2018, V, n° 72).
Il s’ensuit que lorsqu’un salarié conteste, dans le délai imparti, son licenciement pour inaptitude, il est recevable à invoquer le moyen selon lequel l’inaptitude est la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (Cass. soc., 24 avril 2024, n°22-19.401).
ontestation des décisions du médecin du travail : attention à l’attestation de suivi !
L’employeur, dans le cadre de son obligation de préserver l’emploi de ses salariés l’obligeant à veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi pendant toute la durée de la relation de travail, peut être amené à contester une attestation de suivi et l’aptitude totale du salarié s’il estime que l’état de santé de ce dernier est incompatible avec le poste qu’il occupe.
Quels documents l’employeur peut-il contester ? :
Cependant, et sous réserve de reposer sur des éléments de nature médicale, seuls les avis d’aptitude réservés aux salariés exposés à des risques particuliers (C. trav., art. L. 4624-2), les propositions de mesures individuelles d’aménagement du poste de travail (C. trav., art. L. 4624-3), et les avis d’inaptitude et conclusions et indications relatives au reclassement des salariés (C. trav., art. L. 4624-4) sont visés comme étant susceptibles d’être contestés.
De sorte que les attestations de suivi (C. trav., art. L. 4624-1) ne bénéficient pas de la même nature juridique que les décisions susvisées, et ne sont pas visées par l’article L. 4624-7 comme pouvant donner lieu à contestation.
Pourtant, ces attestations de suivi sont également délivrées au salarié à l’issue d’une visite médicale et notamment de reprise, lorsque le salarié n’est pas déclaré inapte.
Or en pratique, la remise de cette attestation équivaut à un « avis d’aptitude implicite » dans le sens où, en l’absence d’avis d’inaptitude, le salarié doit retrouver son poste antérieur. Mais cette attestation ne peut pas faire l’objet d’un recours devant le Conseil de prud’hommes, contrairement aux autres décisions du médecin du travail.
Ceci ressort expressément du contenu du modèle d’attestation de suivi, fixé par l’arrêté du 16 octobre 2017 : il ne comporte pas de clause sur les voies de recours, alors que le Code du travail (art. R. 4624-45) prévoit expressément que les modalités et délais de recours sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.
Subsistent tout de même deux points de vigilance face à l’attestation de suivi :
Dans l’hypothèse où l’attestation de suivi est accompagnée d’un document faisant état de propositions de mesures individuelles, ce document peut, lui, faire l’objet d’un recours puisque visé par les dispositions légales (C. trav., art. L. 4624-7).
Par ailleurs, dans un litige où deux attestations de suivi espacées de quelques semaines ont été rendues par le médecin du travail, et où la première attestation était accompagnée de mesures d’aménagement des conditions de travail dans l’attente d’examens complémentaires, alors que la deuxième n’en comportait pas, les juges ont estimé que l’absence de mesures d’aménagement des conditions de travail accompagnant la deuxième attestation de suivi conduisait à la levée de ces mesures d’aménagement. Cette deuxième attestation a alors été analysée comme un avis du médecin du travail pouvant être contesté devant les juges prud’homaux (Cass. soc., 26 oct. 2022, n° 21-17.484).
On rappellera les principales décisions rendues en matière d’inaptitude en 2023 :
– En cas de déclaration d’inaptitude, l’employeur ne peut pas licencier pour un autre motif :
L’employeur ne peut pas prononcer un licenciement pour un motif autre que l’inaptitude, peu important qu’il ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause (Cass. Soc. 8 février 2023, n° 21-16.258, FS-B).
– Le licenciement disciplinaire est cependant possible si le salarié fait obstacle à son reclassement :
Si, par son comportement, l’intéressé (salarié protégé) a mis son employeur dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation de reclassement, dans ces circonstances particulières, l’employeur a pu légalement envisager de licencier le salarié pour un autre motif que l’inaptitude tel un motif disciplinaire (CE. 12 avril 2023, n° 45874).
– La dispense de reclassement vaut pour le groupe :
En l’espèce l’avis d’inaptitude mentionne que l’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi. La salariée reproche néanmoins à l’employeur de ne pas avoir respecté son obligation en soutenant que cette mention ne le dispensait pas de rechercher un reclassement au sein du groupe. Elle est déboutée : il se déduit de la mention dans l’avis d’inaptitude que l’employeur était dispensé de rechercher et de proposer à la salariée des postes de reclassement (Cass. Soc. 8 février 2023, n° 21-19.232, FS-B).
– L’avis d’inaptitude peut contenir une préconisation sur le télétravail qui lie l’employeur :
Le médecin du travail a précisé, dans l’avis d’inaptitude puis en réponse aux questions de l’employeur, que le salarié pourrait occuper un poste en télétravail à son domicile. Le juge en a exactement déduit, sans avoir à rechercher si le télétravail avait été mis en place dans la société dès lors que l’aménagement d’un poste en télétravail peut résulter d’un avenant au contrat, que l’employeur n’avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement (Cass. Soc. 29 mars 2023, n° 21-15.472, F-B).