Audition de salariés par l’expert du CSE :
le régime dépend du cas de recours

Dans un arrêt du 28 juin 2023 (Cass. soc., 28 juin 2023, n°22-10.293), la Cour de cassation avait considéré que l’expert ne pouvait auditionner des salariés « qu’à la condition d’obtenir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés ».
Les textes visés (C. trav., art. L. 2315-82 et L. 2315-83) figurent dans les dispositions générales sur les « Droits et obligations de l’expert » concernant aussi bien l’expert-comptable que l’expert habilité, ce qui pouvait légitimement amener à considérer que – bien que rendue dans le cadre de la mission d’un expert-comptable désigné pour une consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi – la solution dégagée trouvait à s’appliquer pour l’ensemble des recours à expertise.

Dans un arrêt du 10 juillet dernier (Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 22-21.082), l’objet de l’expertise était distinct (expertise sur un risque grave effectuée par un expert habilité, cf. C. trav., art. L. 2315-94) et la motivation de la Chambre sociale ne s’appuie pas uniquement sur les textes encadrant les prérogatives de l’expert (la solution aurait sinon été identique à celle rendue dans l’arrêt du 28 juin 2023) mais vise également les principes généraux de prévention devant être mis en œuvre par l’employeur (C. trav., art. L. 4121-2 du Code du travail) et la mission de prévention des risques professionnels dévolue au CHSCT (C. trav., art. L. 4612-3 du Code du travail, aujourd’hui abrogé).

La référence à l’obligation de prévention peut surprendre dans la mesure où cette obligation pèse sur l’employeur ; il est discutable que l’expert (tiers à l’entreprise) puisse s’en prévaloir pour justifier les modalités d’exercice de sa mission.

La Cour considère donc que l’expertise « risque grave » participe, du fait de son objet, à la politique de prévention des risques et l’audition de certains salariés effectuée dans ce cadre ne saurait être conditionnée à l’accord préalable de l’employeur.

Une solution transposable au CSE

Les dispositions visées par la Cour de cassation ayant été reprises pour le CSE (pour l’expertise risque grave : cf. C. trav., art. L. 2315-94), la position adoptée dans l’arrêt du 10 juillet 2024 devrait a priori être transposable au CSE en matière d’expertise pour risque grave.
Pour autant, il convient, selon nous, de ne pas amplifier la portée de cet arrêt aux autres cas de recours à un expert. En effet, rien n’indique que la Cour de cassation ait entendu revenir sur la solution rendue dans l’arrêt du 28 juin 2023.

S’agissant des hypothèses de recours à un expert-comptable, la solution dégagée dans cet arrêt devrait continuer à s’appliquer, à savoir que l’expert-comptable désigné dans le cadre des consultations récurrentes (situation économique et financière de l’entreprise, orientations stratégiques, politique sociale, conditions de travail et de l’emploi) ne pourrait procéder à l’audition des salariés de l’entreprise qu’à la condition d’obtenir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés.

S’agissant des autres hypothèses de recours à un expert habilité (introduction de nouvelles technologies, projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, préparation de la négociation sur l’égalité professionnelle dans les entreprises d’au moins 300 salariés, cf. C. trav., art. L. 2315-94), l’arrêt du 10 juillet 2024 ne les évoque pas.

Si l’on s’en tient à la motivation de l’arrêt, la Cour de cassation prend, au contraire, soin de préciser que sa solution vise « l’expert désigné dans le cadre d’une expertise pour risque grave ». Là encore, cette rédaction ne milite pas en faveur d’une extrapolation de la solution aux autres hypothèses de recours à un expert habilité.

Conséquences de cette décision pour les employeurs

La demande d’audition de salariés par l’expert est une pratique courante (même si sa légitimité et son intérêt peuvent toujours être discutés).

Au-delà des précisions nécessaires qui pourront être apportées par la Chambre sociale, l’arrêt commenté ne laisse pas toute latitude à l’expert pour procéder à des auditions dans le cadre d’une expertise « risque grave » ; le périmètre de l’expertise devant être apprécié à l’aune de son objet légal et ne peut se transformer en enquête ou en audit.

Par ailleurs, la Cour de cassation prend soin de préciser que l’audition peut concerner « certains salariés » et doit être « utile » à l’accomplissement de la mission de l’expert. Dès lors, la méthodologie retenue par l’expert, l’étendue de la lettre de mission et les modalités d’exercice de celle-ci devront se conformer au regard des exigences posées par la Cour de cassation et pourront toujours être débattues.

S’agissant des modalités d’exercice de la mission de l’expert, si le législateur a prévu que la liberté de déplacement des élus dans l’entreprise ne devait pas apporter de gêne importante à l’accomplissement du travail des salariés (C. trav., art. L. 2315-14), cette réserve devrait a fortiori s’appliquer également à l’expert désigné par les élus, quand bien même il serait désigné dans le cadre d’une expertise « risque grave ».

La Cour de cassation rappelle enfin que l’employeur peut toujours contester la nécessité des auditions prévues par l’expert. Même si l’on peut reprocher que cette question soit renvoyée au débat judiciaire (là où l’on pouvait penser que la décision du 28 juin 2023 favoriserait le dialogue préalable entre l’expert et l’employeur), le maintien de ce débat est nécessaire ; dans la mesure où en matière d’expertise pour risque grave le coût de l’expertise est pris en charge en totalité par l’employeur (C. trav., art. L. 2315-80, 1°) et dépend directement des diligences prévues par l’expert (notamment, le nombre d’auditions prévues) dans sa lettre de mission.

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Article rédigé par La Team Capstan avocats

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