Harcèlement moral ou sexuel au travail : comment mener une enquête interne efficace et responsable
Face à la hausse des signalements de harcèlement dans les entreprises, les directions RH sont souvent en première ligne, parfois sans outil, ni formation. Comment réagir de manière conforme, humaine et protectrice pour l’ensemble des parties ? Depuis février 2025, une décision-cadre du Défenseur des droits est venue baliser le parcours de l’enquête interne. Voici un guide pour transformer cette obligation légale en véritable levier de responsabilité sociale.
Pourquoi l’enquête interne devient incontournable
La fin du déni
Depuis #MeToo, la parole s’est libérée. Aujourd’hui, 49 % des femmes actives déclarent avoir été victimes de harcèlement au travail (source IFOP). Ce n’est plus un sujet marginal, c’est un risque majeur pour la santé au travail et pour la réputation de l’entreprise.
Une obligation légale à ne pas négliger
L’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat. S’il ne prend pas de mesures immédiates en cas de signalement, il s’expose à des risques juridiques lourds : condamnations aux prud’hommes, reconnaissance de faute inexcusable, mise en cause personnelle du dirigeant…
La décision-cadre du Défenseur des droits de février 2025 vient enfin donner aux RH un cadre clair.
Instaurer les conditions du signalement
Créer un climat de confiance
Un signalement n’est jamais anodin. Il suppose du courage, souvent dans un contexte de déséquilibre hiérarchique. Pour libérer cette parole sans dérives :
• Mettre en place un canal confidentiel (adresse mail dédiée, formulaire, outil tiers),
• Autoriser le signalement anonyme, même s’il devra ensuite être détaillé,
• Informer largement les salariés, prestataires et intervenants extérieurs.
Ce canal doit être pensé comme une soupape, pas comme une boîte à plaintes.
Formaliser la procédure
Dès 50 salariés, une procédure d’enquête doit être inscrite dans le règlement intérieur, validée par les représentants du personnel. En deçà de ce seuil, cela reste fortement conseillé, car une entreprise de 30 salariés n’est pas à l’abri.
Recevoir et instruire un signalement
Recueillir les faits sans biais
Tout commence par une alerte. Mais faut-il lancer une enquête pour chaque mail alarmant ? Non.
Deux cas :
1. Trop vague : “Je suis harcelé, je vais craquer”. Dans ce cas, un échange est nécessaire pour documenter les faits.
2. Assez circonstancié : « Ma N+1 m’appelle à minuit tous les soirs, m’a insultée en réunion le 3 juin devant 2 collègues.” ➤ Vous avez matière à démarrer.
La première étape consiste à établir un faisceau d’indices, pas à juger.
Ne pas traîner
Une fois le signalement reçu, l’enquête doit être ouverte dans un délai de 2 mois maximum. Ce n’est plus une recommandation : c’est une exigence. L’inaction est une faute.
Agir pendant l’enquête : protéger sans accuser
Sécuriser les collaborateurs
L’enquête ne doit pas aggraver le mal-être. Il est donc impératif de :
• Éviter que la victime présumée et le présumé harceleur se croisent.
• Proposer télétravail, changement de planning ou suspension temporaire.
Si les faits sont graves : une mise à pied conservatoire du présumé harceleur est possible, non rémunérée si l’enquête confirme la faute.
Associer les bons acteurs
Prévenez le médecin du travail. Il peut activer des ressources (psychologue du travail, cellule d’écoute) et détecter d’éventuelles pathologies professionnelles.
Webinar
Enquête interne Harcèlement – Comment la gérer ?
Constituer une commission d’enquête crédible
Interne ou externe ?
Le Défenseur des droits recommande une externalisation de la commission : cabinets RH, avocats ou psychologues du travail. Objectif : garantir la neutralité et éviter les conflits d’intérêt.
Mais si vous internalisez :
• Composez une commission de 2 personnes minimum, paritaires,
• Écartez toute personne impliquée ou perçue comme partiale.
Formation indispensable
Au moins un membre doit avoir une formation juridique actualisée sur les discriminations et le harcèlement. Un module express peut suffire à garantir un minimum de sécurité juridique.
Conduire les auditions : neutralité, rigueur, confidentialité
Une méthode en entonnoir
L’ordre est fixé :
1. Victime(s) présumée(s),
2. Témoins,
3. Personne(s) mise(s) en cause.
Les auditions sont menées par la commission seule, sans confrontation. Chaque entretien donne lieu à un PV écrit que le salarié peut corriger ou refuser de signer.
Les questions doivent être factuelles, ouvertes et non orientées. Exemple :
• “Confirmez-vous que votre collègue vous a agressée ?”
• “Avez-vous été témoin de propos ou comportements inappropriés ?”
Confidentialité absolue
Tous les participants à l’enquête (commission, CSE, RH) doivent signer une clause de confidentialité. Les rapports doivent être anonymisés, pour éviter toute représaille.
Rédiger le rapport et prendre une décision
Le rôle du rapport
Le rapport n’est pas un jugement. Il :
• Reprend les auditions et les faits,
• Qualifie ou non les faits selon le Code du travail,
• Recommande (ou non) une sanction.
Il est ensuite présenté au CSE pour consultation.
La décision managériale
La direction prend alors ses responsabilités. Si le harcèlement est caractérisé, une procédure disciplinaire est lancée, pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave.
Ne pas minimiser les faits au nom de “l’humour”, du “style de management” ou de “l’ambiance”. Ce qui est perçu comme une blague peut être une humiliation grave.
Et après ? Ne pas refermer trop vite le dossier
Accompagner les équipes
L’après-enquête est souvent le moment le plus délicat. La blessure peut rester ouverte.
Propositions concrètes :
• Médiation ou soutien psychologique,
• Intervention d’un professionnel extérieur,
• Formation des managers sur les comportements attendus.
Renforcer la prévention
• Mettre à jour le DUERP,
• Créer une charte du respect au travail,
• Mettre en place un baromètre interne pour détecter les signaux faibles.
Transformer la contrainte en levier de transformation
Une enquête interne est un moment sensible. Elle cristallise les tensions, révèle les dysfonctionnements et oblige à agir. Mais bien menée, elle peut aussi devenir un outil de transformation culturelle : vers plus de justice, de respect et de dialogue.
Les RH ne doivent pas être seuls. Former, accompagner, outiller : telles sont les clés d’une démarche responsable et pérenne.
Article rédigé par Géraldine Rathery


