AT/MP : ce que révèlent trois décisions récentes de la Cour de cassation
Cette semaine, décryptage de trois principales décisions qui ont été rendues par la Cour de cassation, en matière d’AT/MP.
1/ Inopposabilité du caractère non professionnel : effets sur l’action récursoire de la caisse
L’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle prononcée par une décision de justice passée en force de chose jugée ayant reconnu, dans les rapports entre la caisse et l’employeur, que cet accident ou cette maladie n’avait pas de caractère professionnel, ne fait pas obstacle à l’exercice par la caisse de l’action récursoire envers l’employeur.
La Chambre civile de la Cour de cassation a précisément décidé dans un arrêt du 26 juin 2025, n° 23-16.183 que :
Vu les articles L. 452-2, L. 452-3 et D. 452-1 du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2014-13 du 8 janvier 2014, applicable au litige :
Il résulte de ces textes que la majoration de rente allouée à la victime en cas de faute inexcusable de l’employeur est payée par la caisse qui en récupère le capital représentatif auprès de l’employeur dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés au deuxième.
Sous le régime antérieur au décret n° 2009-267du 29 juillet 2009, la Cour de cassation a jugé que l’action récursoire de la caisse ne peut s’exercer dans le cas où une décision de justice passée en force de chose jugée a reconnu, dans les rapports entre la caisse et l’employeur, que l’accident ou la maladie, pris en charge, n’avait pas de caractère professionnel (2e Civ., 15 février 2018, pourvoi n° 17-12.567, Bull. 2018, II, n° 32).
Le décret du 29 juillet 2009 précité a encadré et sécurisé la procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travail et maladies professionnelles, en imposant une obligation d’information des parties par l’organisme de sécurité sociale lors de la phase d’instruction, ainsi qu’une obligation de notification des décisions avec mention des voies et délais de recours.
L’indépendance des rapports entre la victime et la caisse, d’une part, et entre l’employeur et la caisse, d’autre part, a conduit la Cour de cassation à juger que la victime peut faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur quand bien même le caractère professionnel de la maladie n’est pas établi dans les rapports entre la caisse et l’employeur (Soc., 28 février 2002, pourvoi n° 99-17.201, publié) et que l’employeur demeure recevable à contester le caractère professionnel de l’accident du travail, de la maladie professionnelle ou de la rechute lorsque sa faute inexcusable est recherchée par la victime ou ses ayants droit, quand bien même la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle revêt à son égard un caractère définitif, en l’absence de recours dans le délai imparti (2e Civ., 5 novembre 2015, pourvoi n° 13-28.373, publié).
Par ailleurs, l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, issue de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduites devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, prévoit que quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3 du même code.
Dans un souci de cohérence et de simplification, la Cour de cassation a étendu la règle ainsi énoncée aux actions introduites avant le 1er janvier 2013 et dont la décision initiale de prise en charge avait été instruite sous le régime du décret du 29 juillet 2009 (2e Civ, 31 mars 2016, pourvoi n° 14-30.015, publié).
Il ressort de l’ensemble de ces considérations que l’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle prononcée par une décision de justice passée en force de chose jugée ayant reconnu, dans les rapports entre la caisse et l’employeur, que cet accident ou cette maladie n’avait pas de caractère professionnel, ne fait pas obstacle à l’exercice par la caisse de l’action récursoire envers l’employeur.
Pour débouter la caisse de sa demande de condamnation de l’employeur à lui rembourser les sommes qu’elle avait avancées au titre de la faute inexcusable, l’arrêt retient que son action récursoire ne peut s’exercer dans le cas où une décision de justice passée en force de chose jugée a reconnu, dans les rapports entre la caisse et l’employeur, que l’accident ou la maladie n’avait pas de caractère professionnel. Il constate que le jugement du 26 août 2021, ayant déclaré inopposable à l’employeur la décision de prise en charge en raison de l’avis défavorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, qui n’a pas reconnu de lien de causalité entre la pathologie et les activités professionnelles de la salariée, avait acquis force de chose jugée.
2/ Maladie professionnelle : la date de première constatation ne suffit pas pour écarter la condition d’exposition
La Cour de cassation a apporté des précisions sur l’appréciation des conditions à réunir pour reconnaître le caractère professionnel d’une maladie.
Il résulte des dispositions combinées des articles L. 461-1 et L. 461-2 du code de la sécurité sociale que, sauf dispositions contraires, c’est à la date de la déclaration de la maladie professionnelle accompagnée du certificat médical initial que doivent s’apprécier les conditions d’un tableau de maladies professionnelles, dont celle tenant à la durée d’exposition au risque prévue dans certains cas.
En l’espèce, le juge du fond relève que si la date de première constatation médicale est importante pour apprécier les conditions tenant au délai de prise en charge, elle est inopérante pour apprécier la durée d’exposition au risque. Il précise que la date de première constatation médicale n’est pas la date à laquelle la victime est informée du lien entre sa maladie et le travail, de sorte que l’exposition au risque a pu se prolonger après celle-ci. Il retient que si la date de première constatation médicale a été fixée au 3 mars 2015, soit à une date antérieure à celle de la déclaration de maladie professionnelle et du certificat médical initial du 8 juin 2018, la victime a cependant exercé au sein de la société l’activité de mécanicienne de confection du 2 juin au 20 décembre 2014 puis du 7 avril 2015 au 2 mars 2018, de sorte que la condition tenant à la durée d’exposition au risque d’un an prévue par le tableau n° 57 est remplie.
Il en a exactement déduit que la condition tenant au délai d’exposition au risque étant remplie, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de la victime était opposable à son employeur.
Cass. civ., 2e, 26 juin 2025, n° 23-15.112
3/ Effets interruptifs de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable sur les actions connexes
Dans une autre décision du 26 juin 2025, pourvoi n°23-13295, la Cour de cassation indique que :
Il résulte de la combinaison des articles 2241 du code civil, L. 431-2 du CSS que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur interrompt la prescription à l’égard de toute autre action procédant du même fait dommageable.
De la combinaison des articles L. 452-1, L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-4 du code de la sécurité sociale, il découle que la victime ou ses ayants droit ne peuvent agir en reconnaissance d’une faute inexcusable que contre l’employeur, et que le versement des indemnités est à la charge exclusive de la caisse primaire d’assurance maladie, laquelle n’a de recours que contre la personne qui a la qualité d’employeur.
En l’espèce, l’action diligentée par les ayants droit aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, qui était également dirigée contre la caisse, avait interrompu le délai de prescription à l’égard de toutes les parties, et d’autre part, la mise en cause de la société avait été régularisée devant les premiers juges par la désignation d’un mandataire ad litem.


