Offboarding, faut il retenir ses talents ?
Dans ce webinar Christophe Aubry Le Comte, co-fondateur de QuickMS est accompagné de Mathilde Le Coz, DRH du cabinet en audit et conseil financier Mazars. Mathilde nous parle du offboarding, pas toujours mis en place dans les entreprises mais plein de bienfaits, qui consiste à accompagner le départ d’une personne de l’entreprise.
Retranscription du webinar sur le Offboarding
Retranscription du webinar sur le offboarding
Christophe
Bonjour, je suis ravi de vous accueillir pour ce webinar sur le offboarding. Je suis Christophe Aubry le Compte, co-fondateur et dirigeant de QuickMS, un éditeur de logiciel qui propose deux produits. Le premier s’appelle GraphiQ qui fait du reporting RH, tandis que le second, Qrew, se concentre sur la relation entre les collaborateurs et les managers, incluant les entretiens, les compétences et la gestion de la performance. Nous serons ici pendant environ une demi-heure.
Avec moi aujourd’hui, nous avons Mathilde.
Merci beaucoup, Christophe. Bonjour à toutes et à tous, enchantée. Je vais parler d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur : le offboarding. Je suis DRH d’un cabinet en audit et conseil financier appelé Mazars depuis maintenant 2 ans. La particularité est que j’ai travaillé chez Mazars pendant 20 ans. Je n’ai pas une formation en RH, car je viens initialement de la finance. Il y a environ 10 ans, j’ai décidé de changer de voie. Nous aurons l’occasion de revenir sur Mazars, car il est également étroitement lié à nos enjeux organisationnels dans notre secteur. Mazars compte 4000 collaborateurs en France, avec une moyenne d’âge de 29 ans. Nous avons donc l’occasion d’observer et de traiter quotidiennement les défis liés aux nouvelles générations. J’assume également d’autres responsabilités car je suis depuis presque deux ans la présidente d’un écosystème appelé Le LabRH. Il s’agit d’un ensemble d’acteurs de la tech RH, comprenant des centaines de startups ainsi que des entreprises adhérentes souhaitant transformer leur fonction RH en collaborant avec des start-ups et des grands groupes. Je suis ravie de partager certaines notions avec vous.
Mathilde
Christophe
Pour commencer, j’aime bien inclure un petit Ice breaker dans les webinars. Donc, Mathilde, nous allons en faire un et tu vas devoir répondre à cette question : « Qu’est-ce qu’un salarié ne peut pas être : boomerang, slasheur, alumni, desengagé ? »
Je dirais aucun. Un salarié peut être tout ces termes.
Mathilde
Christophe
Alors finalement c’est juste une notion de contrat : c’est que tu ne peux pas être salarié et alumni. En théorie, tu n’as plus de contrat de travail quand tu es alumni. Donc la bonne réponse était alumni. On peut être un salarié désengagé. Il faut éviter d’en avoir, mais ça, on ne peut plus l’interdire. On peut être un salarié boomerang, ça tu nous l’expliquera un peu si on a le temps et on peut être slasheur.
C’est vrai qu’on ne peut pas être salarié alumni techniquement, mais si on est freelance et qu’on travaille pour son ancienne entreprise, donc c’est le sujet des collaborateurs salariés qui continuent à travailler pour l’entreprise en tant que freelance. On pourrait philosophiquement dire que c’est un peu un salarié alumni, parce qu’il continue à préparer l’entreprise, mais contractuellement il est parti.
Mathilde
Christophe
Mais on ne pourrait pas le qualifier de salarié quand même. Donc, on avait plein de sujets à voir avec toi. On va commencer. Donc, on traitera les sujets suivants : « accompagnons les départs ». Après, on fera « opportunité de départ » et ensuite « les slasheurs ». Que peux-tu nous dire sur : accompagner les départs ?
Alors le thème c’est le offboarding, littéralement accompagner les départs. Je pense qu’aujourd’hui c’est extrêmement important pour deux choses : la première c’est que je ne crois pas à la fidélisation pour la fidélisation mais je crois beaucoup plus a l’engagement, je préfère avoir quelqu’un dans l’entreprise seulement deux ans mais super engagé plutôt que quelqu’un qui va rester toute sa vie mais désengagé parce que ça ne produit pas de la valeur mais peut même en détruire. Donc pour moi le sujet de départ d’aujourd’hui est encore trop tabou et c’est un vrai sujet qu’il faut mettre sur la table notamment lorsqu’on veut travailler la notion d’engagement. Parce qu’on ne peut pas parler d’engagement si on ne prend pas de front le sujet du départ. Pourquoi ? Parce que je me suis rendu compte, et ça, de mon expérience personnelle, en 20 ans j’ai eu plein de fois eu envie de partir de chez Mazars. J’ai déjà eu d’autres opportunités de départ, et ce sont ces opportunités de départ qui m’ont fait me réengager à chaque fois. Ce qui m’a fait me dire que la notion d’engagement est différente de la notion de motivation. Les motivations, c’est que des choses dont d’ailleurs je n’ai pas toujours conscience. Et c’est-ce qui fait que je viens au boulot. La notion d’engagement est une notion beaucoup plus active, participative de l’individu. C’est quand on décide d’aller au-delà de sa fiche de poste. C’est l’engagement envers les autres envers le collectif. C’est quelque chose qu’on donne aux autres. Et donc il y a un choix, il y a vraiment une notion de on choisit d’être engagé. On n’est pas engagé sur le vouloir, même si ce choix est conscient ou inconscient. C’est quand même un acte individuel de se donner plus. Et donc ce choix-là, qui dit choix dit possibilités.
Donc, s’engager, c’est le fait de se dire : « Je suis là à ce moment-là, j’ai choisi de l’être ». Et donc, par définition, de ne pas partir ou de ne pas choisir autre chose. Et d’ailleurs, souvent, on peut être désengagé et c’est à un moment où on va avoir des opportunités de départ, qu’on peut reconsidérer sa situation dans son organisation, dans ce qu’on fait. On est bien dans une mesure de qu’est-ce que je vais perdre, qu’est-ce que je vais gagner ? Et donc, si on choisit de rester, ça crée l’engagement, puisque de fait, on a choisi délibérément d’être là.
Donc deuxième élément quand même aussi, c’est que je dirais que ce n’est pas pour ça que je fais du offboarding, je fais ça pour créer de l’engagement.
Quand quelqu’un part je me dis : qu’est-ce qu’il fait qu’il n’a pas voulu rester ? La première chose que je me dis dans ma tête, c’est : quelqu’un veut partir, qu’est-ce que je n’ai pas donné ? C’est moi la faute, c’est notre organisation. Donc je trouve qu’il y a un côté très d’autocomplaisance sur le sujet. Donc, c’est toujours un facteur externe qui est responsable de la raison de départ. Faut savoir regarder les choses en face, et même quand moi, dans mon équipe, en termes de manager, j’accompagne mes équipes dans leur terme de développement, si à un moment j’ai quelqu’un qui part et pourtant je pense pouvoir dire qu’on a des relations de travail, c’est que on s’entend bien et que les gens disent que ca leur coute de partir. Je me dis, quelque part, c’est que j’avais plus des bonnes opportunités à proposer en interne. Un talent, ça ne se garde pas ça ne s’emprisonne pas mais ça se développe. Et quand on développe, on offre aussi la possibilité de le voir partir. Je pense que c’est la suite logique. Donc, voilà, mais en plus, si je regarde d’un point de vue beaucoup plus externe, les boîtes qui ne font pas le offboarding, c’est-à-dire qu’à partir du moment où quelqu’un dit : « Je vais partir », les entreprises ne font pas ce offboarding, je trouve ça complètement kamikaze en termes d’expérience collaborateurs. Parce qu’on oublie que qui, aujourd’hui, sont les meilleurs ambassadeurs de sa boîte ? Ce sont ses collaborateurs. Mais c’est aussi tous les candidats qu’on n’a pas pris et tous les collaborateurs qui sont partis. Eux aussi vont parler de l’expérience qu’ils ont eu.
Donc, je pense qu’il faut soigner l’expérience du premier contact avec un candidat jusqu’au dernier contact avec le salarié. Parce que le collaborateur n’est jamais réellement parti. Je pense que les alumnis sont les meilleurs ambassadeurs de la boîte. Moi, j’ai aujourd’hui des alumnis qui me recommandent des gens. J’ai des Alumni qui reviennent, et surtout, il y a des alumnis qui parlent positivement de Mazars voir qui deviennent nos clients même, alors qu’on n’est pas dans le B to C , on est dans le B to B. D’ailleurs, petite parenthèse, quand on est dans le B to C chaque client ou chaque collaborateur parti est un potentiel client-consommateur. Donc, tout ça, aujourd’hui, on ne peut plus le permettre, compte tenu des enjeux aujourd’hui d’être attractif.
Mathilde
Christophe
Alors, on a une question de quelqu’un qui dit : « Du coup, on peut être une personne engagée et avoir moins de motivation ?
Et bien, je ne l’exclurai pas, ça peut paraître bizarre, mais je peux être engagé, très attaché à mon entreprise. Et pourtant, la motivation peut être moins élevée, peut-être que je me demande si c’est là où je suis payé le mieux ? Est-ce que je ne pourrais pas avoir meilleur salaire ailleurs ? Il faut travailler les motivations, parce qu’après, au bout d’un moment, ça peut devenir des points de frustration qui vont amener aussi un potentiel désengagement, ça c’est vrai. Mais c’est quand même deux choses différentes.
Donc voilà, sur le long terme, non, on ne peut pas être démotivé et engagé. Mais à un instant T, on peut parfois, avoir un non-alignement entre sa manière de s’engager et ses critères de motivation.
Mathilde
Christophe
Je suis assez aligné. Je pense que l’engagement est une courbe qui monte et qui descend dans la vie du collaborateur. Quand on rentre dans l’entreprise elle est très haute, parce que quand on arrive, on est très motivé. Quand on est dans une phase de doute et potentiellement une phase où on cherche une opportunité, elle va être basse, parce que on ne sait pas où on est, on ne se projette pas. Parce que est-ce que je reste où est-ce que je m’en vais ? Et là, ce que j’ai constaté en interne, c’est que certains de mes collaborateurs ont eu des opportunités, puis ils ont fait le choix de rester avec nous, c’est là qu’on voit leur engagement, on le sent redémarrer très fort une fois qu’ils ont fait le choix de rester.
Alors, j’ai une autre question. Donc Anaïs nous pose : quelle question se poser quand un candidat quitte l’entreprise ? Faut-il lui poser directement des questions ou mener une enquête en off ?
Nous on a des entretiens d’annonces de départ. Parce que c’est important pour moi de parler avec chaque collaborateur, donc nous les RH on essaye. Après, parfois les collaborateurs ne sont pas là et alors ils nous appellent, mais on a toujours une discussion pour dire : « Ok, pourquoi tu pars, quels sont les raisons ? ».
Je pense que ces interviews sont très importants pour deux choses. La première, il faut toujours connaître les raisons, non pas pour essayer de retenir un talent qui part mais pour qu’il expose ses faits. Parce que je sais moi-même que je n’ai rien à opposer aux raisons pour lesquelles la personne part. C’est un projet personnel que je ne peux pas accompagner, et pourtant je suis très souple sur certains sujets mais parfois je dois me rendre à l’évidence, je n’ai pas de projet, je n’ai pas mieux à proposer. Je ne peux que me réjouir d’un tel départ. Et surtout, ça nous permet d’être très au fait des raisons de l’engagement. Je vais vous donner des exemples, il y a quelques années, on a des gens qui partaient parce qu’ ils voulaient monter une autre activité à côté, et dans nos contrats de travail, on avait ce sujet d’exclusivité, comme dans beaucoup de boîtes, des clauses d’exclusivités. Je me suis dit, « Mais attends, là, je suis en train de faire partir quelqu’un pourquoi, parce que contractuellement, je ne l’autorise pas sur son temps libre à avoir son activité d’auto-entrepreneur, c’est aberrant, je vais le faire changer. » Donc, c’est important de verbaliser, parce que c’est souvent, au moment du départ où les gens parlent beaucoup plus librement, voilà c’est ça, on dénoue la parole. Je pense que le sujet ce n’est pas de savoir si ça me fait plaisir d’entendre ça ou pas, ce qu’ils vont me dire j’ai besoin de le savoir, si j’ai eu un problème de management je dois le savoir à temps pour parfois prévenir et anticiper pour que ça ne se reproduise pas. Donc les entretiens de départ, on met très à l’aise, pas de tenir la jambe pendant une heure. Non, on en parle librement, parce que même moi, je vais apprendre des choses dans l’amélioration continue, pour optimiser l’expérience. C’est important ça et c’est pour ça qu’on fait ces interviews, c’est aussi nous permettre de benchmarker par rapport au marché, vers quel type de jobs vont les gens. C’est comme ça que j’ai su que nos collabs, nos jeunes collabs, sont très attirés par le monde des startups. Ok mais je vais même aller jusqu’à organiser des immersions start-up pour les faire tester avant qu’ils décident de partir. Il y en a qui reviennent aussi. Donc c’est ça aussi, accompagner le départ.
Et puis, ces moments-là, nous permettent de verbaliser. Il y a quelque chose que je dis à tous les collaborateurs, je leur disais, « Il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis ». Donc fais-moi juste une promesse, c’est que le jour où tu regrettes d’être parti et que tu voudrais revenir, faut pas avoir honte, et ce sera un grand plaisir. Et ça, faut le verbaliser, parce que statistiquement, il y a beaucoup de gens qui sont prêts à revenir dans leur ancienne entreprise, mais il y a un sujet d’ego, un peu de « Mais je vais passer pour qui ? » Parce qu’on imagine que dans la chambre de départ, c’est la trahison absolue. « Tu nous as lâché » « Tu m’as annoncé que tu partais, t’es plus dans l’équipe, tu n’es plus dans le projet », les gens sont exclus. Il y a vraiment un sujet de « Tu m’as trahi. » Et cette situation empêche les gens de réellement penser à revenir.
Et ce que je n’ai pas oui précisé, c’est que chez Mazars, 85% de notre recrutement, ce sont des juniors, des diplômés. Donc on est leur première expérience professionnelle. J’ai envie de faire le parallèle avec le premier amour, c’est-à-dire qu’il y a un moment on a beau, j’espère proposer une super expérience chez Mazars, bien sûr que, à tout moment, et même moi ça fait 20 ans, je me dis, mais Mathilde, si tu passes toute ta vie chez Mazars, tu n’auras rien connu d’autres que ça. Donc faut être bien sûr de ce que j’ai.
Mathilde
Christophe
Tu me fais rire, parce que je trouve que la relation employeur-employée, collaborateur-manager, c’est un peu une relation d’amour, que ça soit sur le départ, que ça soit sur le début, et c’est ça. Et souvent, quand un collaborateur nous quitte ce n’est jamais trop la faute du collaborateur. Il faut qu’on se pose la question, nous, l’entreprise, quels sont les raisons de son départ, et ce que j’adore dans ton principe c’est l’entretien d’offboarding. Donc ce que je comprends, c’est que c’est bien RH, ce sont les RH qui les mènent chez vous, et l’idée c’est d’essayer de comprendre la raison, savoir si c’est une bonne raison, et donc là on peut féliciter, ou si c’est des mauvaises raisons, et là c’est le but, c’est de se remettre en question nous, sur comment on aurait pu faire pour éviter ce problème.
Mais les opérationnels en parlent aussi librement, et là aussi, on a une spécificité, sur le offboarding, c’est qu’on a 25% de turnover en moyenne, donc les gens pensent que c’est la cata, mais pas du tout, c’est très propre à Mazars et à notre secteur d’activité, les cabinets de conseils, d’audit ce sont ce qu’on appelle des modèles pyramidaux, donc c’est-à-dire que je vais recruter, par exemple, des centaines de jeunes par ans et puis ils évoluent. Il y en a qui vont rester toute leur vie, qui vont devenir associés, et d’autres qui vont partir, et heureusement que les gens partent. Pour moi, une organisation pyramidale ça veut dire quoi ? Que faut aussi du turnover pour que les gens soient promus, pour que les gens soient promus régulièrement, augmenter en rang. Je veux dire, dans une vraie entreprise, il n’y a pas de la place pour tout le monde. Donc c’est ce qu’on appelle le turnover, qui permet justement de faire monter les jeunes, on les fait évoluer, il y en a qui partent, ça libère des places, on recrute des jeunes, on les fait monter, etc. C’est ça notre modèle.
Je peux vous dire que mon job de DRH serait horrible, je ne serais pas DRH, si mon job, c’était de provoquer 25% de turnover. Heureusement aujourd’hui je suis sur un marché du travail où mes collaborateurs sont harcelés par des cabinets et par des propositions d’embauche plusieurs fois par semaine. Donc j’ai un job super, qui est de créer l’engagement, et non pas de faire partir des gens, parce que le turnover est naturel. Donc les collaborateurs sont très chassés aujourd’hui, on est en plein emploi sur un certain nombre de métiers, dont nous. Et le job, la mission, c’est créer de l’engagement, c’est vachement sympa, parce que je peux faire l’innovation RH, je peux penser des dispositifs qui créent de l’engagement, c’est une autre mentalité et ça a beaucoup plus de sens pour moi dans mon métier. Et donc, qui dit 25% de turnover, vous imaginez les pots de départ, les annonces de départ ? Et quand on arrive chez Mazars, mais c’est pareil dans les autres cabinets, je me rappelle toujours des gens qui disent, « C’est hyper flippant, c’est le quatrième pot de départ que j’ai reçu cette semaine de gens que je ne connais pas. » Parce que nous les pots de départ, on invite toute la boîte, mais il y en a tellement que moi, je vais aller aux pots de départ des gens que je connais, mais c’est mis dans les agendas de tout le monde.
Et je finis là-dessus, mais un de nos piliers de marque employeur, c’est développer l’employabilité. L’employabilité, c’est le fait de dire, je sais que je vous embauche, mais je sais que vous allez repartir. L’employabilité, c’est le fait de dire « Je vais être plus employable après ». Donc ça fait partie de notre ADN aussi, RH.
Mathilde
Christophe
Oui, moi, de ce que je vois de vos cabinets, des cabinets de votre type, sans citer tout le monde c’est que vous êtes aussi d’une très bonne école, de Bac + 6, 7, 8, Bac + 10, presque parce que derrière ce sont des cadres d’autres entreprises qui sont vos clients de demain et c’est très bon pour l’écosystème et ce turnover que vous avez chez vous est très bon pour l’écosystème de manière générale.
Oui, après y a plein de talents qui ne passent pas par les cabinets mais surtout effectivement on est vus comme un troisième cycle, après une école, après une université, des jeunes viennent chez nous pour avoir une première expérience professionnelle et rares sont ceux qui se projettent plus longtemps que 3 ans chez nous. En revanche, ce qui fait que depuis plus de 20 ans je suis chez Mazars, c’est que je pense que j’ai fait 10 jobs différents. Donc ça, c’est un sujet. Et notamment aujourd’hui, j’ai d’autres casquettes. Je suis président du labRH, je suis aussi auto-entrepreneuse à côté. C’est parce que Mazars m’autorise que je suis toujours là au bout de 20 ans. La notion d’exclusivité est très alliée avec la notion d’offboarding. Parce que dans le offboarding on entend parfois : « je démissionne, je ne suis plus dans l’entreprise », mais ça peut être « Je démissionne pour devenir freelance ». Est-ce qu’on associe vraiment la relation de travail au salariat uniquement en France ? Et moi, je peux travailler des années avec un indépendant, mais il a travaillé pour moi pendant des années, il fait partie de mon équipe et il n’est pas salarié. On travaille ensemble. Donc faut aussi voir que traiter le offboarding, c’est ouvrir aussi de nouveaux champs de collaboration dans l’entreprise, le multi-activité, c’est-à-dire autoriser la fin des clauses d’exclusivité, c’est assumer que les gens peuvent travailler pour plusieurs entreprises en même temps, c’est accepter de dire qu’on peut travailler pour l’entreprise pas uniquement par le salariat. Ça veut dire aussi qu’une fois qu’on est parti, on peut aller apprendre et on peut revenir. Donc, il y a toutes ces notions-là aussi de libérer le lien de subordination autour de l’employé et de l’employeur.
Mathilde
Christophe
On prend quelques questions et après je veux que tu nous expliques vraiment en détail le mot slasheur. Donc, question un petit peu plutôt pratico-pratique : Sur ces entretiens de retour de offboarding, vous les faites à la RH, est-ce que vous faites des retours au manager ?
Bien sûr. C’est ce que je disais, c’est que de toute façon les opérationnels chez nous, enfin souvent, ils sont déjà au courant des raisons de départ avant nous. Combien de fois j’ai entendu « tu sais, untel part pour telle raison. » C’est-à-dire que, encore une fois, comme le départ est quelque chose de vu de, comme d’inopposable, de naturel dans notre cycle, les gens expliquent pourquoi ils partent. Est-ce que c’est un sujet de rémunération, est-ce que c’est un sujet de management, est-ce que c’est un sujet de charge de travail, est-ce que c’est un sujet de « J’ai un projet personnel ». Ça peut être tout et n’importe quoi, les raisons de départ. Donc si on voit un point de dysfonctionnement managérial, opérationnel, on traite. Ah oui, on ne va pas fermer les yeux. C’est l’idée. Ce ne sont pas des entretiens de blâme mais si au bout de 10 départs, je me rends compte que c’est toujours la même personne qui est identifiée, c’est de ma responsabilité d’agir. Donc, si j’entends » je pars parce que c’est difficile avec cette personne-là, elle est difficile à travailler » c’est ça que je dois traiter. Je vais gérer mes problèmes de management, mais peut-être que les gens, ils partiront pour d’autres raisons. Enfin, voilà, ce n’est pas arrêté, c’est ça que je voulais dire. C’est moi, je dois m’assurer qu’il n’y a pas de problème, notamment avec les sujets managériaux, c’est très important pour nous. Donc, on les met à l’aise, ce n’est pas de la délation mais il y a un moment, si on a des faisceaux qui pointent la même personne on propose des coachings, on en parle avec le management. Effectivement, les raisons de départ peuvent également être liées au fait qu’il manquait quelque chose pour que les employés puissent s’engager ou se projeter dans l’entreprise. Cela nous aide énormément dans notre politique RH pour améliorer les choses. Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a quelques années, nous constations que de nombreuses femmes quittaient l’entreprise dès lors qu’elles tombaient enceintes. C’était spécifique à notre industrie, il y a plus de 10 ans. Quand elles annonçaient leur grossesse, elles craignaient de ne pas pouvoir concilier leur vie professionnelle avec leur vie de mère. Aujourd’hui, les sujets sont différents, mais ces entretiens de départ nous permettent de comprendre les raisons et d’améliorer les choses. C’est toute une approche. Je pense que pour travailler sur l’expérience, il faut être centré sur l’utilisateur. Il faut sonder régulièrement les besoins des collaborateurs, car ils sont nos clients internes. Je suis là pour apporter de la valeur et être au service des collaborateurs. Être centré sur l’utilisateur est extrêmement important. Cela signifie qu’il faut recueillir régulièrement leurs retours. Nous utilisons des outils de sondage, nous organisons des ateliers de brainstorming et tout est mis en place selon une approche de design thinking en RH. Les entretiens de offboarding sont magiques, car c’est à ce moment-là que les langues se délient. Les collaborateurs se sentent plus à l’aise pour exprimer ce qui les a énervés jusqu’à présent. Il ne faut pas avoir peur de cela, au contraire, c’est une mine d’or. Les entretiens de départ nous permettent de mieux comprendre ce qui fonctionne bien et ce qui ne fonctionne pas dans l’organisation.
Mathilde
Christophe
Olivier a posé une question sur ce qui fait la particularité de Mazars pour en faire un webinar sur la gestion du offboarding. Je pense que tu y as déjà répondu en grande partie, mais il y a un point clé.
Exceptionnellement chez Mazars, nous utilisons un outil d’offboarding, une solution technique RH, pour suivre le processus de départ et évaluer l’expérience du collaborateur dans son ensemble. Nous ne négligeons pas l’expérience vécue lors du départ. Par exemple, rendre son ordinateur, contacter différents services, etc. Nous cherchons à faciliter cette expérience de départ. De plus, nous organisons des immersions en startup pour que les collaborateurs puissent évaluer leur choix avant de prendre une décision définitive de départ. Nous avons également des politiques de salariés boomerang, ce qui signifie que nous envoyons des newsletters à nos anciens collaborateurs pour leur proposer nos offres d’emploi et les encourager à revenir chez nous. Enfin, nos contrats de travail incluent des clauses de cumul d’emploi, car nous encourageons le concept de slasheur, c’est-à-dire des personnes ayant plusieurs emplois en même temps. Pour moi, cela fait partie intégrante de l’offboarding, car il ne s’agit pas seulement de quitter l’entreprise, mais aussi de maintenir un lien avec elle, d’avoir un pied à l’intérieur et un pied à l’extérieur. C’est aussi une façon de penser notre offboarding. Nous travaillons également avec des freelances et accompagnons nos collaborateurs qui souhaitent démissionner et devenir freelance et continuer à travailler avec nous. C’est un nouveau sujet que nous abordons lors du offboarding. Nous collaborons avec Catherine Barba et son collectif « En Vie » ainsi qu’avec la start-up Malte, par exemple, pour organiser des webinars et des ateliers internes afin d’expliquer à nos collaborateurs ce que signifie être salarié ou indépendant, comment adopter le statut d’auto-entrepreneur et gérer leur temps. Nous allons loin, mais pourquoi ? Si je prends l’exemple des freelances, c’est un courant sociétal non négligeable. Il y a aujourd’hui plus d’un million de freelances, et ces profils possèdent souvent des compétences en pénurie dans les organisations. C’est donc un réel enjeu d’attractivité des compétences. Laissez-moi vous donner un exemple. Récemment, une collaboratrice talentueuse m’a dit : « J’adore Mazars, j’adore mon métier, j’adore mon manager, mais je veux reprendre le pouvoir sur la gestion de mon temps, c’est-à-dire mon engagement dans ma vie professionnelle et personnelle ». Nous avons discuté du temps partiel, etc. Elle m’a dit qu’elle souhaitait devenir freelance, mais en continuant à travailler pour nous, car elle se sentirait plus libre dans la manière de gérer sa charge de travail. C’était sa principale motivation. Elle était très engagée, mais il y avait un problème de motivation, car sa motivation première était la flexibilité totale dans la façon de concevoir son travail. Je pouvais simplement lui dire : « Très bien, démissionne, au revoir », mais cela signifiait que je me privais d’un talent important. Au lieu de cela, je lui ai dit : « Super, je suis ravie, et je vais t’accompagner dans ton parcours en tant que freelance ». En fait, je lui ai proposé de travailler pour moi pendant plusieurs mois au sein de nos équipes, ce qui est le cas avec elle. Elle fait toujours partie de l’équipe contractuellement. Bien sûr, il y a des questions juridiques auxquelles je vais m’atteler, mais je pense qu’il est temps de repenser les politiques en matière de freelancing. Arrêtons de considérer les freelances uniquement comme de la précarité. Il y a une véritable question aujourd’hui autour de l’émancipation, de la relation de subordination et du partage de la valeur. De nombreuses personnes choisissent le freelancing pour payer moins de taxes. En France, le travail est fortement taxé, et il est parfois difficile de savoir où va la valeur entre le prix de vente et ce que récupère réellement le collaborateur pour ses compétences. C’est un véritable enjeu de société en 2023. Nous ouvrons donc un nouveau chapitre. En ce qui concerne le offboarding, je veux simplement qu’elle continue à travailler pour moi, peu importe si elle choisit d’être freelance. Mieux vaut ça que rien du tout.
Mathilde
Christophe
Nous pourrions passer des heures à discuter de tous ces sujets. Je propose donc de conclure sur le dernier point un peu plus mystérieux, à savoir les slasheurs et leur importance pour nous.
Slasheur, je m’excuse d’utiliser des termes anglais parfois. Je pourrais traduire cela par « multi-activités ». Slasheur fait référence au symbole de la barre oblique « / », car il s’agit de se présenter sous différentes identités professionnelles : je suis DRH / président d’une association / je suis aussi auto-entrepreneur. Donc j’ai une associée, auditrice commissaire aux comptes / productrice d’huile d’olive. Elle a de beaux produits, voilà, avec des copains ils ont acheté des oliviers. Ils commercialisent une marque d’huile d’olive. J’ai des auditeurs / youtuber professionnel ou influenceurs. Il y en a eu il y a quelques années, une youtubeuse beauté qui nous a quittés pour le coup, tellement elle avait été, voilà, connue. Mais pendant très longtemps, elle a eu ces deux activités à côté. Là, j’ai beaucoup de consultants ou auditeurs qui sont entrepreneurs à côté, donc dans des startups, qui ont des projets. Peut-être qu’à terme, ils nous quitterons, peut-être qu’à terme, ils resteront à moitié freelance et entrepreneur à côté. Je ne sais, mais à un temps donné, je sais qu’ils ont une autre activité à côté. Il faut savoir que ça, pendant des années, c’était interdit. On avait des clauses d’exclusivité qui interdisaient les salariés à temps plein à avoir une autre activité professionnelle à côté, quelle qu’elle soit. En France, fondamentalement, on n’a pas le droit d’avoir deux contrats de salariés plein temps en même temps. Mais fondamentalement, on ne peut pas interdire à quelqu’un d’être auto-entrepreneur à côté de son activité de salarié. Mais ça existait beaucoup dans les contrats de travail. Donc, nous on l’a autorisé, et voilà, les slasheur c’est le fait d’avoir d’autres jobs à côté.
Mathilde
Christophe
Je t’avouerais que nous on l’a sur nos contrats de travail. Mais il y a cette chose d’exclusivité, et j’ai une tendance qui me dit que je pense que les congés et les temps de repos sont aussi là pour se reposer, pour que la personne soit plus performante après. Du coup, il y a un sujet de s’il bosse beaucoup trop à côté, et ce qu’il va être encore performant pendant son temps de travail. Mais je pense que c’est une question de responsabilité, d’engagement, exactement, et je m’ouvre un peu à ce sujet en t’écoutant.
Mais il y a plein de gens qui le font déjà, mais juste leur employeur le sait pas. Mais c’est évident parce que c’est caché. Donc ça se fait beaucoup dans le tertiaire, dans la prestation de service. Mais moi, je connais plein de gens qui sont salariés et à côté, ils sont artisans, ils fabriquent des produits. Mais il y en a, ils ont une vraie activité à côté.
Mathilde
Christophe
Nous, on a, par exemple, dans nos équipes, une commerciale, Manon que je salue, qui, le soir de match, sa belle-sœur a un petit stand qui fait des sandwichs, et elle adore aller faire ça, et elle nous a demandé l’autorisation. On l’a autorisé.
Et effectivement, du coup, ça va surtout requestionner dans les entreprises la culture de la confiance, du management au résultat, de la flexibilité totale, d’arrêter de penser le travail autour des forfaits heure et du temps. Il faut penser le travail autour de la contribution et de la valeur produite. On rémunère les gens pour la valeur qui est créée et non pas le temps qu’ils passent au travail. Et ça, ça, c’est très culturel français. Donc ça, c’est très dur à changer.
Mathilde
Christophe
C’est la fin de ce webinar c’est passé super vite, Mathilde merci beaucoup, à bientôt.
Merci à toi à bientôt, au revoir.
Mathilde