Inaptitude : quand l’employeur doit-il reconsulter le médecin du travail ?
Que faire quand le salarié inapte conteste la conformité du poste de reclassement proposé ?
Que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non, l’obligation de reclassement, sauf cas de dispenses légales, pèse sur l’employeur quand un salarié est déclaré inapte.
L’employeur doit tenir compte des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu’il formule sur la capacité du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise et proposer un emploi aussi comparable que possible au poste précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles qu’aménagements, adaptations ou transformations de postes existants (C. trav., art. L.1226-2 et L.1226-10).
En matière probatoire, c’est à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté l’obligation de reclassement.
Depuis le 1er janvier 2017, l’obligation de reclassement est toutefois réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail. Ainsi, le refus du seul poste proposé au salarié, dès lors que ce poste répond aux exigences du médecin du travail, suffit à motiver un licenciement pour inaptitude (C. trav., art. L.1226-2-1 et L.1226-12).
L’enjeu, autour de la notion de conformité du poste de reclassement aux exigences médicales, est donc de taille.
Un arrêt du 22 octobre dernier (Cass. soc., 22 octobre 2025, n°24-14.641) rappelle les conditions à remplir par l’employeur doit remplir pour bénéficier de la présomption légale… et les incertitudes qui demeurent.
Le contexte :
Le médecin du travail déclare un salarié inapte à son emploi de vendeur monteur exercé au service d’un opticien. Il précise que le salarié « peut exercer un poste de vendeur et un poste sans gestes répétitifs des membres supérieurs et sans gestes amenant à placer le bras au-dessus de la ligne des épaules. »
L’employeur propose en conséquence à son salarié un poste de vendeur à titre de reclassement. Le salarié refuse, considérant que ce poste de reclassement n’est pas compatible avec les préconisations du médecin du travail.
L’employeur, fort de l’avis médical émis, notifie le licenciement. Il souligne avoir, en outre, informé le Médecin du travail de ce que ce poste de vendeur était, conformément aux préconisations médicales, proposé au salarié à titre de reclassement et se prévaut de l’absence de réaction du médecin.
Dans de telles circonstances, l’employeur peut-il valablement prendre acte du refus du salarié et notifier le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement ?
La solution de la Cour de cassation :
La Cour de cassation répond par la négative. Elle estime en l’espèce que, le salarié contestant la compatibilité de l’emploi proposé avec les recommandations du médecin du travail émises dans l’avis d’inaptitude, il appartenait à l’employeur de solliciter à nouveau l’avis de ce dernier.
Faut-il en conclure que toute contestation par le salarié de la compatibilité de l’emploi proposé avec les recommandations du médecin du travail entraîne l’obligation pour l’employeur de solliciter à nouveau son avis ? Assurément pas : à bien la lire, la décision de la Cour de cassation est bien plus nuancée :
« 10. La cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir que le poste de vendeur proposé n’avait pas été préalablement validé par le médecin du travail, en a exactement déduit qu’au regard des contestations émises par le salarié quant à la compatibilité du poste proposé avec son état de santé, il incombait à l’employeur de solliciter un nouvel avis du médecin du travail, ce que celui-ci ne justifiait pas avoir fait »
La Cour souligne qu’en l’espèce le médecin du travail n’avait pas validé le poste avant la proposition de reclassement. On peut donc en déduire que s’il l’avait fait, le refus motivé du salarié n’aurait pas imposé à l’employeur de solliciter un nouvel avis de sa part.
Une application pratique qui impose une étude au cas par cas
Une question pratique se pose alors : avant de formuler sa proposition de reclassement, dans quelles conditions l’employeur peut-il considérer que le médecin a déjà validé le poste ? En l’espèce, l’avis d’inaptitude précisait que le salarié « peut occuper un poste de vendeur ; peut occuper un poste sans gestes répétitifs des membres supérieurs et sans gestes « bras au-dessus de la ligne horizontale des épaules ». Les juges du fond, cités par la Cour de cassation, ont toutefois retenu que le médecin du travail :
• « n’avait pas validé le poste de vendeur au vu d’un descriptif précis des tâches à accomplir » ;
• avait eu un échange avec l’employeur mais que « le contenu de cet échange n’était pas connu »,
• et que la lettre dans laquelle « l’employeur prétendait que le poste de vendeur était conforme à ses recommandations ne précisait pas les tâches du vendeur. » (la solution eut-elle était différente si la lettre les avait précisées ?).
Au regard de ces éléments, il semble que la circonstance que l’avis médical vise expressément le poste de vendeur a été jugée comme insuffisante car le médecin a préconisé le poste sans en connaître précisément le contenu au sein de l’entreprise. L’hypothèse est que, s’il avait connu le descriptif précis des fonctions d’un vendeur, sa préconisation aurait peut-être été différente. Autrement dit, s’il existe un doute, l’employeur doit solliciter à nouveau le médecin afin de le lever.
C’est donc à l’employeur qui propose un poste de reclassement de s’assurer de sa compatibilité avec les préconisations du médecin du travail (Cass. soc., 21 juin 2023, n°21-24.279) :
• en le lui faisant valider préalablement ;
• ou en suivant ses préconisations si elles sont suffisamment précises ;
• ou en le sollicitant à nouveau après la proposition si le salarié conteste la compatibilité et qu’aucune des 2 conditions précédentes n’est remplie.
Plusieurs questions d’ordre pratique subsistent toutefois : l’employeur doit-il être en mesure de prouver qu’il a transmis au médecin un descriptif précis du poste ? Doit-il obtenir une réponse expresse du médecin ? quand peut-on considérer que les préconisations du médecin sont suffisamment précises et se suffisent à elles-mêmes ? etc…
En pratique, on le voit, une analyse devra être effectuée au cas par cas, en tenant compte de l’ensemble de la situation rencontrée.
Mais s’il résulte de cette analyse que le poste a bien été validé par le médecin du travail avant la proposition de reclassement, on ne voit pas en quoi le refus, même motivé, du salarié imposerait à l’employeur de solliciter de nouveau le médecin du travail.




