IA, télétravail, témoignages anonymes… Nouvelles décisions clés en droit social au 28 mars 2025
Consultation du CSE et IA : un juge des référés ordonne la suspension du projet !
L’intelligence artificielle transforme en profondeur le monde du travail. Elle prend aujourd’hui une place croissante dans les débats, notamment sur son intégration dans les entreprises et l’impact qu’elle aura sur l’emploi.
C’est dans ce contexte que le Tribunal judiciaire (TJ) de Nanterre a ordonné, pour la première fois, la suspension d’un projet de déploiement d’outils d’IA avant le terme de la consultation du CSE (TJ Nanterre, 14 février 2025, n° 24/01457, téléchargeable ci-dessous).
Le TJ ne formule aucune injonction à l’entreprise de consulter son CSE au motif que cette dernière déploie des modules d’IA ; cette question n’étant pas en débat au cas particulier. Il apporte en revanche des précisions sur les prérogatives du juge dans la suspension de projets et les limites des phases « pilotes » préalables.
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Etat de santé :
Un arrêté du 3 mars 2025 modifie l’arrêté du 16 octobre 2017 fixant le modèle d’avis d’aptitude, d’avis d’inaptitude, d’attestation de suivi individuel de l’état de santé et de proposition de mesures d’aménagement de poste.
Agrément :
Arrêté du 7 mars 2025 relatif à l’agrément de certains accords de travail applicables dans les établissements et services du secteur social et médico-social privé à but non lucratif.
Le salarié désigné représentant syndical au CSE d’un établissement doit y travailler
Les conditions de validité de la désignation d’un représentant syndical, tenant à la personne du salarié désigné, doivent être appréciées à la date de la désignation.
A cette date, lorsque l’entreprise comporte plusieurs établissements distincts, le salarié désigné représentant syndical au comité social et économique d’un établissement doit travailler dans cet établissement.
En l’espèce, à la date des désignations litigieuses, le lieu de travail du salarié était rattaché à l’établissement A, le tribunal judiciaire en a déduit à bon droit que les désignations du salarié en qualité de représentant syndical au comité social et économique d’un autre établissement, soit l’établissement B, devaient être annulées.
Cass. soc., 12 mars 2025, n°24-11.467
Télétravail : l’action en paiement de l’indemnité pour occupation du domicile est soumise au délai biennal
Selon le code du travail (art. l’article L. 1471-1, alinéa 1er), toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Selon l’article L. 1222-9 I, alinéa 1er, du code du travail (dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012), qui figure dans le chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code du travail, intitulé « Exécution et modification du contrat de travail », le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.
L’occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans sa vie privée, de sorte qu’il peut prétendre à une indemnité à ce titre dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition ou qu’il a été convenu que le travail s’effectue sous la forme du télétravail. L’action en paiement de cette indemnité qui compense la sujétion résultant de cette modalité d’exécution du contrat de travail est soumise au délai biennal de l’article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail.
Cass. soc., 19 mars 2025, n° 22-17.315
En cas d’infraction d’emploi d’étranger non autorisé à travailler, l’annulation des exonérations de cotisations ne peut être que totale
Selon le CSS, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018, applicable au litige, lorsque la dissimulation d’activité ou de salarié résulte uniquement de l’application du II de l’article L. 8221-6 du code du travail ou qu’elle représente une proportion limitée de l’activité, l’annulation des réductions et exonérations de cotisations de sécurité sociale ou de contributions est partielle.
Il résulte du CSS que l’annulation des réductions et exonérations en cause n’est seulement partielle que dans deux cas, celui de la dissimulation relative à des travailleurs indûment présentés comme travailleurs indépendants, transporteurs routiers indépendants ou dirigeants ou salariés d’une autre entreprise et celui où cette dissimulation représente une proportion limitée de l’activité.
Ainsi, l’employeur à l’égard duquel a été constatée l’infraction d’emploi d’étranger non autorisé à travailler ne peut bénéficier de cette modulation de la sanction d’annulation des réductions et exonérations de cotisations de sécurité sociale ou de contributions dues aux organismes de sécurité sociale.
Cass. civ., 2e, 20 mars 2025, n°23-15.729
Contrôles simultanés des sociétés d’un groupe : qui doit signer la lettre d’observations adressée à chaque société ?
Selon le CSS, à l’issue du contrôle, les agents chargés du contrôle communiquent au représentant légal de la personne morale contrôlée ou au travailleur indépendant contrôlé une lettre d’observations datée et signée par eux.
Il en résulte que lorsque plusieurs inspecteurs participent aux opérations de contrôle, la lettre d’observations doit être revêtue de la signature de chacun d’eux, à peine de nullité.
En cas de contrôles concertés et simultanés de plusieurs sociétés d’un même groupe, la lettre d’observations adressée à chaque société doit être signée par l’inspecteur ayant personnellement procédé à la vérification de la situation individuelle de chacune.
Cass. civ., 2e, 20 mars 2025, n°23-10.061
Témoignages anonymes : le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte au principe d’égalité des armes lorsqu’elle est indispensable à son exercice et que l’atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi
La Cour européenne des droits de l’homme juge que le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes, étroitement liés entre eux, sont des éléments fondamentaux de la notion de « procès équitable » au sens de l’article 6, § 1, de la Convention. Ils exigent un « juste équilibre » entre les parties ; chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires. Toutefois, le droit à la divulgation des preuves pertinentes n’est pas absolu, en présence d’intérêts concurrents tels que, notamment, la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles, qui doivent être mis en balance avec les droits du justiciable. Seules sont légitimes au regard de l’article 6, § 1, les limitations des droits de la partie à la procédure qui n’atteignent pas ceux-ci dans leur substance. Pour cela, toutes les difficultés causées à la partie requérante par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires. Il y a lieu pour le juge de procéder à un examen au regard de la procédure considérée dans son ensemble et de rechercher si les limitations aux principes du contradictoire et de l’égalité des armes, tels qu’applicables dans la procédure civile, ont été suffisamment compensées par d’autres garanties procédurales (CEDH, 19 septembre 2017, Regner c/ République tchèque, n° 35189/11, § 146, 148 et 151).
Il en résulte que si, en principe, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par la partie qui les produit, lorsque sont versés aux débats d’autres éléments aux fins de corroborer ces témoignages et de permettre au juge d’en analyser la crédibilité et la pertinence.
En l’absence de tels éléments, il appartient au juge, dans un procès civil, d’apprécier si la production d’un témoignage dont l’identité de son auteur n’est pas portée à la connaissance de celui à qui ce témoignage est opposé, porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le principe d’égalité des armes et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte au principe d’égalité des armes à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’espèce, un salarié pour avoir fait régner un climat de peur au sein de l’entreprise et avoir modifié ses horaires sans l’accord de son employeur. La société, pour caractériser la faute du salarié, produit deux constats d’audition aux fins de preuve établis par huissier de justice, reprenant les contenus des auditions effectuées par cet huissier de cinq témoins.
Pour le juge du fond, la proposition de l’employeur de produire aux seuls membres de la cour d’appel les originaux, non anonymisés, des constats d’huissier doit être rejetée, de telles pièces ne pouvant être déclarées recevables, et les constats anonymisés doivent être déclarés « non probants », de sorte que l’existence d’une faute grave n’est pas démontrée.
A tort pour la Cour de cassation dès lors que d’une part, relève de l’admissibilité des preuves et non de l’examen au fond le fait de déclarer non probante une pièce au motif de son défaut de contradiction et que, d’autre part, il résultait de ses constatations que la teneur des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l’identité était connue de l’employeur et de l’huissier de justice qui avait recueilli ces témoignages, avait été portée à la connaissance du salarié, que ces témoignages avaient été recueillis par un huissier de justice responsable de la rédaction de ses actes pour les indications matérielles qu’il a pu lui-même vérifier en application des articles 1er et 2 de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 alors applicable, et qu’il n’était pas contesté que le salarié avait déjà été affecté à une équipe de nuit pour un comportement similaire à celui reproché dans la lettre de licenciement, de sorte que la production de ces témoignages anonymisés était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs et que l’atteinte portée au principe d’égalité des armes était strictement proportionnée au but poursuivi.
Cass. soc., 19 mars 2025, n° 23-19.154