Accidents du travail et maladies pro : que disent les juges ?
Cette semaine, décryptage de deux décisions des juges du fond.
1/ Le passage de l’huissier envoyé par l’employeur pour constater une faute du salarié peut entraîner un choc émotionnel constitutif d’un AT
Un salarié refuse l’ordre de mission transmis par son employeur et se rend sur son lieu de travail habituel, au siège social de l’entreprise. L’employeur dépêche un huissier afin de constater la présence du salarié au siège, et non sur le lieu de la mission à laquelle il était affecté. Le salarié se rend le lendemain chez son médecin qui établit un certificat médical initial mentionnant des troubles anxio-dépressifs majeurs avec anxiété généralisée.
La CPAM rejette la qualification d’accident du travail, en faisant notamment valoir que le salarié a fait état d’un harcèlement moral et d’un acharnement de la part de son employeur subi depuis plusieurs années, ce dont il résulte que sa lésion psychologique n’est pas survenue soudainement le jour du passage de l’huissier mais était présente avant cette date. Le salarié conteste cette décision.
Le juge d’appel relève que, dans le questionnaire remis à la CPAM, le salarié indique que depuis plusieurs mois, il subit un mal vivre au travail lié notamment à un harcèlement moral de son employeur, qui ne lui donne pas de travail au siège et l’envoie dès qu’il le peut à plusieurs centaines de kilomètres de son lieu de travail ; que le passage d’un huissier pour contrôler son travail, sur son lieu et temps de travail, lui a causé un choc émotionnel ; que l’état de stress dans lequel il se trouve est apparu soudainement après le passage de l’huissier.
Un collègue atteste que celui-ci subissait du harcèlement moral de son employeur depuis plusieurs mois et que, à la suite du contrôle par huissier de justice, le salarié a été fortement perturbé et choqué psychologiquement, ce qui l’a conduit à consulter son médecin qui l’a mis en arrêt. Il ajoute avoir constaté à plusieurs reprises l’acharnement de la direction pour mettre son collègue dans un état de stress, en le harcelant moralement.
Un autre collègue évoque lui aussi une situation de harcèlement moral depuis plusieurs années à l’encontre du salarié, sa fonction de délégué syndical n’y étant sûrement pas étrangère selon lui. Il confirme que son collègue s’est senti très affecté par la visite de contrôle inopiné par huissier de justice et qu’il a constaté qu’il n’était pas bien du tout.
Pour la Cour d’appel, il ressort de ces éléments que le jour du passage de l’huissier, le salarié a subi un fait soudain au temps et lieu du travail ayant entraîné une lésion, de sorte que son accident doit être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
CA Rouen, 24 janvier 2025, n° 24/02128
2/ Inopposabilité à l’employeur de la prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle (syndrome dépressif) malgré les avis favorables de 2 CRRMP
Le 28 novembre 2016, la salariée, employée de la Société en qualité de responsable logistique, a transmis une déclaration de maladie professionnelle à la CPAM, au titre d’un « Epuisement professionnel ‘Burn out’ » à laquelle il joignait un certificat médical initial, daté du 17 octobre 2016, faisant état d’une première constatation médicale au 5 juillet 2016 et, à la rubrique ‘renseignements médicaux’ « Pb travail ++ avec suivi initial en ‘maladie’ ‘ Syndrome anxio-dépressif en «’Burn Out’. Le dossier de la salariée a été transmis à un comité régional de reconnaissances des maladies professionnelles (CRRMP 1).
Le 22 novembre 2017, la CPAM a notifié à la Société sa décision de prise en charge de la pathologie déclarée le 28 novembre 2016 au titre de la législation professionnelle.
La Société a contesté cette décision. Le TASS a ordonné la saisine d’un second CRRMP (CRRMP 2), lequel a rendu un avis favorable à la prise en charge de la pathologie.
La Cour d’appel relève que le CRRMP 1 écrit qu’il a notamment considéré « la notion selon l’intéressée d’un surcroît de travail imputé à un manque d’effectif, de ressources et de soutien de sa hiérarchie » et des certificats médicaux qui sont tous établis sur la base des dires de la salariée et sont du 5 juillet 2016 ou après. Ce faisant, le CRRMP de 1 n’a procédé à aucune analyse de la réalité de la situation de la salariée, alors qu’il est constant que non seulement les seuls dires de l’intéressée sont insuffisants à qualifier le caractère professionnel de la pathologie mais encore c’est à elle qu’il appartient d’apporter la preuve d’un lien direct et essentiel entre la pathologie et son travail.
Il en va de même s’agissant de l’avis du CRRMP 2, qui conclut à un lien direct et essentiel dans les termes suivants : « Certaines conditions de travail peuvent favoriser l’apparition de syndromes anxio-dépressifs ». La cour ne peut que noter le caractère confondant d’une telle mention. Ce CRRMP poursuit : « L’analyse des conditions de travail telles qu’elles ressortent du dossier ainsi que la chronologie d’apparition des symptômes et leur nature permettent de retenir un lien direct et essentiel entre le travail habituel et la maladie déclarée par certificat médical du 17 octobre 2016 » (souligné par la cour).
Certes, il apparaît que la salariée a dû affronter une quantité de travail significative et que, au moment de sa prise de fonctions, une sérieuse difficulté avec un client d’importance a dû être résolue et que, d’une manière générale, le site de [Localité 2] rencontrait, ainsi qu’il résulte du
Challenge, une situation d’activité importante engendrant une « quantité de stress importante ».
Mais il est inexact d’en déduire qu’il existe un lien entre la pathologie présentée par la salariée, alors qu’il résulte des pièces du dossier, y compris celles soumises par la Caisse, qu’une étude avait été menée, permettant de révéler une mauvaise répartition des tâches au sein de l’équipe, et que l’équipe de la salariée avait été renforcée d’une personne à compter de début 2016.
Le CRRMP ne fait aucune mention de ce que la situation personnelle de la salariée était particulière puisqu’elle se trouvait géographiquement isolée, ce qui n’est pas du fait de la Société.
Le CRRMP ne fait pas davantage mention de ce que la salariée, quelques semaines avant l’arrêt de travail du 5 juillet 2016, considéré comme le point de départ de la pathologie professionnelle déclarée, avait déploré auprès de sa supérieure hiérarchique la survenue de plusieurs décès dans son entourage.
De l’ensemble de ce qui précède, il résulte que, si les avis des CRRMP saisis par la Caisse ne peuvent être considérés comme irréguliers, ils ne sauraient être confirmés par la cour, aucun lien direct et essentiel ne pouvant être établi entre la pathologie déclarée, s’agissant d’un syndrome dépressif, et le travail de la salariée.
La cour dira la prise en charge de cette pathologie, au titre de la législation sur les risques professionnels, inopposable à la Société.
CA Paris, 24 janvier 2025, n°21/09820