Désignation d’un délégué syndical au niveau d’une personne morale regroupant en partie plusieurs établissements distincts
Ce que dit la loi !
Conformément à l’article L.2143-3 du Code du travail, « chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise ou l’établissement d’au moins cinquante salariés, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l’article L. 2143-12, un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l’employeur.
Si aucun des candidats présentés par l’organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article ou s’il ne reste, dans l’entreprise ou l’établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou de l’établissement.
Les conditions de désignation d’un délégué syndical d’une personne morale
La désignation d’un délégué syndical peut intervenir lorsque l’effectif d’au moins cinquante salariés a été atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes. »
Selon l’article L. 2121-1 du même code, la représentativité des organisations syndicales est déterminée d’après des critères cumulatifs dont l’audience établie selon les niveaux de négociation.
Aux termes de l’article L. 2122-1 du même code, dans l’entreprise ou l’établissement, sont représentatives les organisations syndicales qui satisfont aux critères de l’article L. 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants.
Le cas de l’entreprise EIFFAGE ENERGIES SYSTEMES
C’est à la lumière de ces dispositions légales que la Chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à statuer sur un différend opposant la société EIFFAGE ENERGIES SYSTEMES Ile de France et la Fédération générale portant sur les faits suivants.
La société Eiffage énergie systèmes – régions France constitue avec ses filiales l’unité économique et sociale Eiffage Energie (l’UES). Le 12 février 2019, l’UES et les organisations syndicales représentatives ont conclu un accord sur le dialogue social et le droit syndical qui définit notamment le périmètre de mise en place des comités sociaux et économiques.
Cet accord prévoit que la société Eiffage énergie systèmes – Ile de France (la société Eiffage IDF) et la société Eiffage énergie systèmes automatisme et robotique sont regroupées en trois établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques, à savoir l’établissement »IDF – Industrie + Eiffage énergie systèmes automatisme et robotique », l’établissement »IDF – Infrastructures » et l’établissement »IDF Tertiaire + Projets complexes + Direction régionale »
Cet accord définit également le périmètre de désignation des délégués syndicaux, qui sont désignés au niveau de l’UES et au niveau des établissements distincts. Il prévoit, par exception, en ce qui concerne les sociétés Eiffage IDF et Eiffage énergie systèmes automatisme et robotique, que la désignation du délégué syndical d’établissement interviendra (en fonction des conditions d’effectifs) sur le périmètre des sociétés, et non au niveau des établissements distincts.
À l’issue du premier tour des élections des membres des comités sociaux et économiques, qui se sont déroulées du 7 au 13 novembre 2020, un salarié de la société Eiffage IDF, a été élu en qualité de membre suppléant dans le deuxième collège de l’établissement IDF »Tertiaire + Projets complexes + Direction régionale ».
La fédération générale Force Ouvrière construction (FGFO construction), qui a recueilli 12,66 % des suffrages exprimés dans cet établissement, a notifié à la société Eiffage IDF, par lettre du 16 décembre 2020, la désignation de M. [M] en qualité de délégué syndical de la filiale Eiffage IDF.
Par requête du 29 décembre 2020, la société Eiffage IDF a contesté cette désignation et a saisi le tribunal compétent pour solliciter son annulation, en faisant valoir que :
- Les organisations syndicales ne peuvent procéder aux désignations de délégués syndicaux ou représentants syndicaux légalement ou conventionnellement prévues que si elles sont représentatives dans l’entreprise ou l’établissement dans lesquels ces désignations doivent prendre effet.
Qu’en l’espèce, en affirmant, pour juger que la désignation de M. [M] en qualité de délégué syndical de la société Eiffage Energie Systèmes Ile-de-France était valable, que ‘‘le syndicat ayant recueilli 12,66 % des suffrages exprimés aux élections du CSE IDF Tertiaire + Projets complexes + Direction régionale est représentatif », sans constater que le syndicat FGFO Construction était représentatif au niveau de la société Eiffage Energie Systèmes – Ile-de-France, le tribunal judiciaire a violé l’article L. 2121-1 Cu code du travail, ensemble l’accord susvisé ;
- En vertu des accords applicables, la représentativité devait s’apprécier au niveau du périmètre de la société, sur la base de l’audience obtenue en consolidant les résultats des trois CSE de la filiale Eiffage Energie Systèmes Ile-de-France et de la filiale Eiffage Energie Systèmes Automatisme et Robotique.
La décision de la Cour de cassation : Le seuil de 10 % se calcule en additionnant tous les suffrages obtenus lors des élections au sein de ces établissements
En réponse, la Cour de cassation a suivi l’argumentation développée par la société, en soulignant les points suivants.
L’accord collectif sur le dialogue social et le droit syndical au sein de l’UES prévoit que »les parties rappellent qu’en ce qui concerne la société Eiffage Energie Systèmes Ile de France, les éléments de statuts sociaux (temps de travail, etc.) sont définis dans un accord conclu au niveau de cette société, et conviennent que toute évolution de ces statuts ne pourra intervenir qu’à ce seul niveau, et en aucun cas au niveau des établissements distincts servant à la mise en place des CSE d’établissement ». Le même article précise que »par exception, en ce qui concerne les sociétés Eiffage Energie Systèmes Ile de France et Eiffage Energie Systèmes Automatismes et Robotique, regroupées en trois établissements distincts servant à la mise en place des CSE d’établissement (…), il est convenu entre les parties que la désignation du délégué syndical d’établissement interviendra (en fonction des conditions d’effectifs) sur le périmètre des sociétés, et non au niveau des établissements distincts ».
Il en résulte que, lorsque la désignation d’un délégué syndical s’effectue au niveau d’une personne morale regroupant en partie trois établissements distincts au sens du comité social et économique d’établissement, le seuil de 10 % fixé par le code du travail se calcule en additionnant la totalité des suffrages obtenus lors des élections au sein de ces différents établissements.
En effet, selon une jurisprudence établie de la Cour de cassation, dans une situation similaire, il a été jugé que, sauf dispositions légales particulières, la représentativité des organisations syndicales au sein des sociétés composant une unité économique et sociale où a été institué, pour l’élection des représentants du personnel, un collège électoral unique incluant des salariés de droit privé et des fonctionnaires, doit être appréciée au regard de la totalité des suffrages exprimés par l’ensemble des électeurs composant ce collège (Avis, 2 juillet 2012, demande n° 12-00.009, Bull. 2012, Avis, n° 6 ; Soc., 26 juin 2013, pourvoi n° 12-26.308, Bull. 2013, V, n° 174).