Suppression des jours fériés : quel impact pour les entreprises et les RH ?
Le 15 juillet dernier, notre Premier ministre François Bayrou a ravivé un vieux débat en proposant la suppression de deux jours fériés pour relancer la croissance et réduire le déficit public. Un simple effet d’annonce ? Peut-être. Mais l’enjeu mérite qu’on s’y attarde. Que se passerait-il si cette mesure voyait réellement le jour ? Géraldine Rathery, responsable marketing chez QuickMS, et Fabrice Carava, avocat en droit du travail au sein du cabinet Capstan, ont exploré ce sujet lors d’un webinar riche et prospectif. Voici ce qu’il faut en retenir.
Pourquoi cette idée revient sur la table ?
L’objectif gouvernemental est clair : faire travailler les Français deux jours de plus pour stimuler la production nationale, avec à la clé un gain économique estimé à 4,2 milliards d’euros. Cela permettrait aussi de ramener le déficit public à 4,6 % du PIB d’ici 2026.
Mais cette proposition, aussi ambitieuse soit-elle, pose de nombreuses questions juridiques, sociales et économiques. Car derrière les deux journées de travail supplémentaires se cachent des répercussions profondes pour les entreprises et les professionnels RH.
Deux hypothèses techniques : solidarité ou suppression pure ? Instaurer les conditions du signalement
La première incertitude tient à la forme que prendrait cette suppression. Deux options sont sur la table :
• Transformation en journée de solidarité : à l’image de la journée mise en place après la canicule de 2003, les salariés travailleraient sans rémunération supplémentaire, et l’entreprise verserait une contribution à la solidarité.
• Suppression pure et simple : les jours concernés ne seraient plus fériés. Ils deviendraient des jours ouvrés classiques, rémunérés normalement, sans majoration ni compensation.
Selon les annonces initiales, le gouvernement privilégierait la seconde option. Mais rien n’est encore figé. Et c’est là tout l’intérêt du regard prospectif proposé par Fabrice Carava.
Des impacts concrets sur la paie et les charges
En cas de suppression pure, les salariés seraient payés normalement pour ces deux jours supplémentaires. Contrairement à la journée de solidarité, il ne s’agirait donc pas de travail gratuit.
Mais une contribution spécifique pourrait tout de même être instaurée. Elle viserait à capter une partie de la valeur ajoutée produite grâce à ces journées supplémentaires. Autrement dit, même sans journée de solidarité, les entreprises pourraient se voir imposer une cotisation équivalente, sous une nouvelle ligne URSSAF.
Une mesure qui, selon Fabrice Carava, pourrait avoir un effet contre-productif pour certaines entreprises, notamment dans les secteurs du tourisme ou de la restauration. Car si ces jours ne sont plus fériés, la fréquentation pourrait baisser, réduisant le chiffre d’affaires, sans pour autant réduire les coûts.
Webinar
Suppression des jours fériés –
Quels impacts pour les entreprises et les RH ?
L’effet domino sur les conventions collectives et les accords d’entreprise
Un autre point de vigilance évoqué dans le webinar concerne l’impact sur le dialogue social et les textes existants dans les entreprises :
• Conventions collectives : beaucoup prévoient des jours fériés supplémentaires ou un traitement spécifique (rémunération majorée, jours chômés payés, etc.). Que deviennent ces dispositions si la loi supprime certains jours fériés ?
• Accords d’entreprise : certains incluent aussi des dispositions relatives aux jours fériés ou des aménagements du temps de travail fondés sur leur présence.
• Usages : certaines entreprises ont des pratiques implicites (chômage d’un jour particulier chaque année, jours off accordés traditionnellement) qui pourraient entrer en contradiction avec la nouvelle législation.
En cas de changement, il serait nécessaire de renégocier les textes existants. Mais attention : toute renégociation ouvre la porte à d’autres revendications. Les partenaires sociaux pourraient réclamer des jours de repos compensatoires, des primes supplémentaires ou d’autres contreparties.
Le cas particulier du forfait jours
Pour les cadres en forfait jours (souvent fixés à 218 jours travaillés par an), la suppression de deux jours fériés soulève une question clé : faut-il augmenter le nombre de jours travaillés ou transformer ces jours en jours de repos ?
La réponse dépendra du texte de loi. En l’absence de précision législative, les entreprises pourraient être tenues de respecter le plafond des 218 jours.
Résultat : les jours fériés supprimés se transformeraient mécaniquement en jours de repos supplémentaires, sauf à recourir au rachat de jours (possible avec un avenant et moyennant majoration de salaire).
Modifier unilatéralement le nombre de jours dans un forfait jour exigerait l’accord du salarié. En l’absence de disposition légale, cela pourrait donc devenir un nouveau terrain de négociation complexe pour les RH.
Quelles conséquences pour le temps de travail annualisé ?
Un autre dispositif concerné est celui de l’aménagement du temps de travail sur l’année. Le fameux seuil de 1607 heures de travail annuel repose sur un calcul incluant les jours fériés.
Si deux jours fériés disparaissent, ce seuil pourrait théoriquement augmenter. Mais là encore, tout dépendra du niveau de précision du texte législatif. Les entreprises disposant d’accords fondés sur ce volume devront envisager une mise à jour, pour éviter les litiges liés au calcul des heures supplémentaires.
Ce qu’il faut anticiper dès maintenant
Même si le projet reste à l’état de proposition, les entreprises ont tout intérêt à se préparer. Voici les principaux réflexes à adopter pour les responsables RH :
1. Faire l’état des lieux des conventions collectives et accords en vigueur.
2. Identifier les usages relatifs aux jours fériés dans l’entreprise.
3. Anticiper les conséquences sur les dispositifs de temps de travail (forfaits jours, temps annualisé).
4. Évaluer les risques de renégociation collective, en particulier les compensations potentielles demandées.
5. Suivre de près le projet de loi, notamment pour savoir si une contribution financière sera imposée.
Un impact économique loin d’être uniforme
Si le gouvernement parie sur un effet macroéconomique positif, les effets microéconomiques sont loin d’être garantis. Certaines entreprises industrielles pourraient effectivement tirer parti de deux jours de production en plus. Mais dans d’autres secteurs, notamment les services et le commerce, le bilan pourrait être bien plus nuancé, voire négatif.
La suppression de deux jours fériés pourrait bien n’être qu’un ballon d’essai. Mais si elle se concrétise, ce changement en apparence simple pourrait provoquer un véritable bouleversement organisationnel et juridique pour les entreprises.
En tant que RH ou dirigeant, il est donc essentiel de rester vigilant, de se préparer à différents scénarios et d’anticiper les impacts potentiels sur votre politique sociale.
Et comme évidemment, si la loi est un jour promulguée, un webinar de décryptage opérationnel sera proposé pour accompagner les entreprises dans cette transition.
Article rédigé par Géraldine Rathery


