FOCUS : motif de licenciement tiré de la vie personnelle du salarié et exercice du droit à la preuve

Cette semaine, trois principales décisions rendues en la matière par la Chambre sociale de la Cour de cassation sont décryptées.

1. Le licenciement ne peut être atteint de nullité lorsque le motif de licenciement tiré de la vie personnelle du salarié ne relève pas de l’intimité de sa vie privée

Il résulte, d’une part, du code du travail que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur n’ouvre droit pour le salarié qu’à des réparations de nature indemnitaire et que le juge ne peut, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement, d’autre part, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que la liberté proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen implique le droit au respect de la vie privée.
Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui prononce la nullité de la révocation d’un salarié, ordonne sa réintégration et condamne l’employeur à payer une indemnité d’éviction, alors que le motif de cette sanction fondée sur des faits de détention et de consommation de produits stupéfiants à bord de son véhicule, constatés par un service de police sur la voie publique et étrangers aux obligations découlant du contrat de travail, tiré de la vie personnelle du salarié, ne relevait toutefois pas de l’intimité de sa vie privée, de sorte que, si le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, il n’était pas atteint de nullité en l’absence de violation d’une liberté fondamentale.

Cass. soc., 25 septembre 2024, n°22-20.672

2. Le motif du licenciement fondé sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique professionnel viole l’intimité de la vie privée et entraîne à lui seul la nullité du licenciement

Il résulte de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du code civil et du code du travail que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.

Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances. L’employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner.
Ensuite, il résulte du code du travail, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
Le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l’intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

Doit en conséquence être approuvé l’arrêt qui prononce la nullité du licenciement d’un salarié et condamne l’employeur à payer diverses sommes à ce titre, après avoir constaté que le salarié avait été licencié pour faute grave, notamment en raison de propos échangés lors d’une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, dans un cadre strictement privé sans rapport avec l’activité professionnelle, ce dont il résultait que, cette conversation de nature privée n’étant pas destinée à être rendue publique et ne constituant pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, était insusceptible d’être justifié et était atteint de nullité comme portant atteinte au droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié.

Cass. soc., 25 septembre 2024, n°23-11.860

3. Les preuves tirées de fichiers contenus dans des clés USB personnelles sont illicites mais peuvent être utilisées lorsqu’elles sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur

Il résulte du code du travail que l’accès par l’employeur, hors la présence du salarié, aux fichiers contenus dans des clés USB personnelles, qui ne sont pas connectées à l’ordinateur professionnel, constitue une atteinte à la vie privée du salarié, de sorte que les preuves tirées de leur exploitation présentent un caractère illicite.
Il résulte de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du code civil et du code de procédure civile, que dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, l’employeur démontrait qu’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le contrôle effectué sur les clés USB, au regard du comportement de la salariée qui, selon le témoignage de deux de ses collègues, avait, courant juin et juillet 2017, travaillé sur le poste informatique d’une collègue absente et imprimé de nombreux documents qu’elle avait ensuite rangés dans un sac plastique placé soit au pied de son bureau soit dans une armoire métallique fermée.
Par ailleurs, pour établir le grief imputé à la salariée, l’employeur s’était borné à produire les données strictement professionnelles reproduites dans une clé unique après le tri opéré par l’expert qu’il avait mandaté à cet effet, en présence d’un huissier de justice, les fichiers à caractère personnel n’ayant pas été ouverts par l’expert et ayant été supprimés de la copie transmise à l’employeur, selon procès-verbal de constat en date du 11 septembre 2017.

Par conséquent, la production du listing de fichiers tiré de l’exploitation des clés USB était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et l’atteinte à la vie privée de la salariée était strictement proportionnée au but poursuivi. Les pièces relatives au contenu des clés USB litigieuses étaient recevables.

Cass. soc., 25 septembre 2024, n°23-13.992

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Article rédigé par La Team Capstan avocats

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